«Une nouvelle alliance entre le lycée professionnel et l’entreprise. De la découverte des métiers à la transformation des formations, les possibilités de partenariats sont nombreuses et permettront aux entreprises d’attirer de nouveaux talents et ainsi de répondre à leurs besoins en compétences. »
Voilà ce qu’on peut lire sur le site du ministère du Travail depuis l’événement intitulé « Se spécialiser après le baccalauréat » organisé à la Maison de la Chimie à Paris le 18 octobre 2023. Cet événement avait pour but de réunir des représentants de plusieurs secteurs d’activité (nucléaire, automobile, pompes à chaleur) afin de les inviter à «co-construire» les futurs diplômes professionnels et exprimer leurs «besoins en compétences» (comprendre: besoin de main d’oeuvre).
Loin de la lutte contre les inégalités ou de la défense des valeurs de la république, la mission du lycée professionnel est plus que jamais de répondre aux difficultés de recrutement des entreprises en « partenariat » avec celles-ci.
Objectif : répondre rapidement aux difficultés de recrutement des entreprises |
Le livret « Comment mieux coopérer avec les lycées professionnels » (1), disponible sur le site du ministère du Travail, est explicite. Huit actions déroulent la marche à suivre : les entreprises sont encouragées à demander l’ouverture de « formations secondaires de spécialisation professionnelle », participer à l’évolution de « l’offre de formations professionnelles sur leur territoire », susciter des « vocations » (la découverte professionnelle en 5e et le mentorat), intégrer les Campus des métiers et des qualifications, proposer à leurs « collaborateurs » de devenir « professeurs associés » et contribuer à la bonne formation continue des professeurs de lycées professionnels. Le BDE (bureau des entreprises) dans chaque lycée professionnel est l’interlocuteur et l’exécuteur direct de ces nouvelles exigences et opportunités offertes grassement aux entreprises.
Les entreprises sont donc invitées à venir former et pré-recruter leurs ressources humaines directement dans les lycées professionnels et à formater les PLP pour qu’ils transmettent les miraculeuses et indéfinissables « compétences transversales », secret de « l’employabilité ». Mais quelle entreprise est suffisamment puissante pour s’investir dans l’Éducation nationale ? Certainement celles à qui une précédente ministre du Travail, Muriel Pénicaud en 2018, avait déjà offert la possibilité de créer des CFA d’entreprise : AXA, LACTALIS, VEOLIA, ADECCO, etc… Ces grandes entreprises qui voient loin et qui ont crée leurs propres formations courtes, certifiantes et payantes, tout en étant subventionnées.
Des formations courtes après le bac pro, en apprentissage ou par voie scolaire (50% de stage) : une remise en cause de la réforme de 2009 ?.
« Certificats de spécialisation » (nouvelle appellation des mentions complémentaires), FCIL (formation complémentaire d’initiative locale), CQP (certificat de qualification professionnelle), BP, CAP en 1 an, « coloration »… L’objectif est de créer 20 000 places dans ces formations « courtes et complémentaires » post bac pro, d’ici la rentrée scolaire 2025, avec un objectif intermédiaire de 10 000 places à la rentrée 2024. Actuellement seulement 4 000 élèves sont concernés par ces diplômes et certifications pour 160 000 élèves inscrits en terminale professionnelle à la session 2023.
Pour montrer l’importance de promouvoir une année de formation supplémentaire et améliorer l’insertion des lycéens professionnels, le ministère s’appuie sur une étude du CEREQ, « Génération 2017 », qui a suivi le parcours de 25 000 bacheliers professionnels diplômés en 2014. Cette étude a montré que « les jeunes ayant complété leur Bac pro par une certification professionnelle du secondaire […] ont connu « plus fréquemment un parcours professionnel dominé par l’emploi » que « leurs homologues sortis directement après l’obtention de leur Bac pro (+22 points) ». Certes, quatre années au lycée valent mieux que trois ! Quatorze années après la réforme de 2009 (qui a réduit d’un an la formation des bacheliers pro) pour que le ministère du Travail (et non l’EN !) reconnaisse enfin l’évidence.
Le lean management et la mixité des statuts.
La méthode employée par les DRAFPIC pour engager la modification à marche forcée des cartes des formations est un exemple éloquent de lean management ou management « maigre » qui demande aux salariés d’être les auteurs de la dégradation de leurs conditions d’exercice. Les enseignants sont consultés pour supprimer ou réduire des formations insuffisamment insérantes, sur la base de données hautement contestables. Par la suite, ils devront se prononcer, en toute autonomie et dans la concertation, pour reconduire ou non des « formations secondaires de spécialisation professionnelle ». Devenir infiniment malléables, « adaptables », accepter les torsions et être les opérateurs de sa propre soumission aux « besoins des entreprises », voilà ce que la réforme de la voie pro prépare.
Mais le ministère du travail a tout prévu, l’action n°7 du livret « comment mieux coopérer avec les LP » propose aux « collaborateurs d’entreprise » de devenir « professeurs associés » en lycée professionnel, recrutés en tant que contractuels par les rectorats, à mi-temps (324h annuelles d’obligation de service devant élèves) pour 3 ans renouvelable. Une aubaine pour les entreprises qui depuis le COVID peinent à recruter une main d’oeuvre suffisamment docile : des formations courtes, financées par l’Éducation nationale, pour préparer la ressource humaine, par les entreprises elle-même au gré des besoins. Une aubaine pour les rectorats qui devront gérer « l’accompagnement RH » des enseignants sans poste à la suite des suppressions de sections.
Quand l’école était jugée inadaptée, archaïque, créatrice de chômeurs : l’inversion du discours managérial.
M. Xavier Huillard, président de l’Institut de l’entreprise et PDG de Vinci, introduit la rencontre « Entretiens Enseignants-Entreprises » par ces mots : séduit par le « modèle américain », il se félicite des efforts de la France pour s’en approcher, notamment à travers « le resserrement des liens entre le monde enseignant et l’entreprise », une évolution qui produira « le meilleur pour la France » car « si l’éducation doit jouer un rôle majeur, c’est principalement par rapport à cette obligation d’employabilité ». Aux mêmes Rencontres deux ans plus tôt, l’ancien directeur de l’académie de Paris, Claude Michelet, clame aux enseignants de SES présents : “il faut bien préparer les enfants au monde de l’entreprise ! Vous, vous ne créez que des chômeurs” (2). L’anathème est connu, l’école est passéiste, archaïque, incapable de s’adapter, d’innover, de préparer les jeunes au monde (économique) de demain.
Entreprendre pour apprendre (EPA) est un programme soutenu par des fondations d’entreprise, certaines régions et académies, et par le MEDEF. Il aide les enseignants à créer des mini entreprises « porteuses de projets » avec un comité de direction constitué d’élèves. La démarche ne se limite pas à distiller l’esprit d’entreprise dans les établissements scolaires, « elle dynamise la classe, motive les élèves, les prépare au marché du travail et offre un moyen de lutter contre l’échec scolaire », pas moins ! Mais rien ne suggère que l’enthousiasme est feint ou que le bénéfice est plus important qu’un projet de classe sur la solidarité, la culture, l’éducation artistique, l’éducation aux médias…
Inversion du discours managérial : l’amour de l’entreprise, la croyance aveugle dans la capacité de celle-ci à éduquer la jeunesse, le dogme de l’innovation, tout le discours entrepreneurial qui nous plombe depuis 10 ans est officiellement dépassé. Dorénavant, c’est l’école qui vient au chevet de l’entreprise.
(1). Livret : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2023_voiepro_dossierparticipant_18-10_bat.pdf
(2). https://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/LAMBERT/56790