Ce sont plusieurs articles parus dans le Monde et dans le Café Pédagogique qui interpellent fin janvier et début février. Il y est question des rapports de la Cour des comptes parus les 24 janvier et 1 février portant sur les pistes à privilégier pour réformer l’Education Nationale. Ceux-ci suggèrent des préconisations pour l’amélioration de l’Education nationale et la lutte contre les inégalités. Le premier rapport s’intéresse au projet d’établissement, trop peu mobilisé selon la cour. Le deuxième s’intéresse à la formation initiale des enseignants et à leur recrutement.
Le rapport du 24 janvier 2023 fait le constat des difficultés de l’Education nationale à réduire les inégalités. Il propose donc au ministère de renforcer le recours au projet d’établissement créé par la loi d’orientation du 10 juillet 1989, insuffisamment exploitée selon la Cour. La Cour invite ainsi à « renforcer le rôle des chefs d’établissement et à refondre les modalités d’allocation des moyens en direction des EPLE ». Le projet d’établissement deviendrait le pivot pour améliorer les stratégies d’établissement en vue de réduire les inégalités entre les élèves. Pour cela il faudrait « confier aux chefs d’établissement (CE) l’évaluation des enseignants », « au sein de la dotation globale, laisser à la main du CE une enveloppe permettant de valoriser l’investissement d’enseignants au regard du projet d’établissement ». De plus, les modalités de recrutement et de mutation des CE seraient réformées et la contractualisation entre établissements, académies et collectivités territoriales serait favorisée.
La Cour propose ainsi un développement à l’anglo-saxonne et partant, la fin de l’égalité républicaine entre les élèves. Hasard du calendrier, quelques jours plus tard, le Monde nous informe que pour une fois les inégalités reculent dans les lycées parisiens où Affelnet a affecté des élèves en dehors de toutes considérations socio-culturelles ; le brassage des populations favorisées et défavorisées y serait le principal moteur de l’amélioration des résultats des élèves. On en sourirait presque.
Le rapport du 1 février fait le constat de fortes difficultés de recrutements d’enseignants, en particulier dans les académies de Créteil et Versailles. Si la mastérisation n’est pas remise en cause, les multiples parcours de recrutement mis en place suite à la réforme de 2019 montrent de fortes disparités. La réforme a également provoqué « une surcharge de travail contreproductive pour les étudiants ». Le rapport préconise de favoriser le recrutement de contractuels, notamment parmi les titulaires du Master MEEF. On retrouve ici aussi le principe d’inscrire les nouveaux enseignants sous contrat dans le projet d’établissement et donc de les mettre dans un lien étroit avec le CE. Enfin, le rapport propose d’allouer des moyens spécifiques aux académies en tension pour pallier au difficulté de recrutement.
La connaissance de ces deux rapports amène plusieurs réflexions, à mettre en perspective de projets politiques thatchériens. Il apparaît clairement que si ces rapports étaient suivis d’effets, ils poseraient la question de l’égalité des chances et de l’universalité de l’enseignement en France, comme n’a pas manqué le souligner Claude Lelièvre dans son blog. En effet, le recours aux contractuels serait forcément plus massif et l’on ne peut pas estimer que les mesures de formation (une semaine avant la première affectation puis des rendez-vous perlés au cours de l’année) puissent être une réponse satisfaisante. De même, envisager de renforcer le projet d’établissement uniquement sous le prisme du CE pose alors question. Le risque serait la caporalisation des collègues contractuels par les chefs d’établissement, surtout si ceux-ci étaient majoritairement issus des entreprises privées. Nombreux sont les collègues en reconversion professionnelle dans la voie pro, on peut douter qu’ils aient envie de retrouver des conditions de travail qu’ils ont justement voulu quitter pour donner du sens à leur engagement professionnel.
La doctrine du New Public Management, qui semble inspirer la Cour, a déjà montré ses limites dans l’Hôpital public. Tout le monde s’accorde sur le besoin de ne pas gaspiller l’argent public. Cependant le statut de fonctionnaire garantit l’égalité entre les différents acteurs. Chercher par tous les moyens à recourir massivement à la contractualisation ne résoudra pas les problèmes mais les accentuera. Le mouvement des Gilet jaunes a montré que la population souffrait de l’éloignement des services publics, la lutte actuelle contre la réforme des retraite et les mouvements de protestation des jeunes diplômés de grandes écoles sont en train de montrer que les travailleurs veulent donner du sens à leur travail, pourquoi chercher à réduire les inégalités et le recrutement des enseignant en mettant en œuvre des solutions qui ont montré leur limites dans les pays anglo-saxons, comme le Royaume-Uni où on ne peut pas tout mettre sur le dos du Brexit et on sait que les difficultés dans les services publics y sont des problèmes anciens.
Enfin, ces rapports sont dans la continuité des précédents publiés depuis une grosse décennie. Ils poussent à l’annualisation du temps de travail des enseignants et au développement de nouvelles missions. Ils introduisent surtout la possibilité de rémunérer les enseignants en fonction de leur investissement et des résultats des élèves. Sans considérer que les enseignants travaillent avec de l’humain.
Sur quels critères peut-on objectivement penser l’investissement professionnel ? Par le taux de réussite des élèves à un diplôme essentiellement réalisé en CCF ? les notes ne seront plus représentatives. A partir des projets éducatifs ? tous les collègues savent que seuls les pas de côtés pédagogiques nous permettent de faire progresser nos élèves et que nous ne pouvons pas passer notre temps à justifier notre travail. Par le nombre d’heures de présence au lycée ? quid alors des envies d’exploitation pédagogique qui naissent de la lecture de romans, du visionnage de films, de la fréquentation d’expositions ou des échanges avec le reste de la population ? Le travail intellectuel ne peut être quantifier comme celui d’un ouvrier sur sa ligne de montage. La rationalisation à outrance trouve ses limites.