L’académie d’Aix-Marseille fait partie des trois académies pilotes (avec Nantes et Lille) expérimentant les contrats locaux d’accompagnement (CLA) depuis septembre 2021. Nicolas Voisin, co-secrétaire académique du SNUEP-FSU nous explique où en est cette expérience qui pourrait devenir la règle partout ailleurs.
Comment s’est mise en place l’expérimentation des CLA dans ton académie ?
Comme d’habitude avec ce gouvernement : de l’opportunisme, de l’improvisation, du passage en force… et beaucoup d’idéologie !
Il faut savoir que la mise en place des CLA correspond à l’extinction effective de la politique d’éducation prioritaire (EP) : en 2015 nos luttes avaient permis d’obtenir un sursis de 5 ans !
Fin 2020, Mme Elimas, secrétaire d’Etat qui pilote les CLA a soudain lancé l’opération dans 3 académies. Les équipes pédagogiques ont été mises en demeure de produire à la hâte des « fiches actions ». Les chef·fes d’établissement ont expliqué qu’il s’agissait d’une condition pour être inscrit par le rectorat dans le dispositif CLA à la rentrée 2021, et pour espérer toucher les financements en remplacement des moyens perdus de l’éducation prioritaire (EP). Dans quelques LP ex-ZEP, les collègues ont refusé. Mais dans une quinzaine de LP, ils se sont exécutés avec plus ou moins de zèle, souvent la peur au ventre.
Alors que Mme Elimas, en visite à Marseille en janvier, jurait que les CLA n’étaient pas conçus en substitution de l’EP, et permettraient une sorte de « bonus » sur des actions innovantes, on a rapidement découvert une liste d’actions touchant globalement aux fondamentaux de nos missions. Toutes les « fiches actions » ont été validées telles quelles.
Jusqu’au printemps, on n’en a plus entendu parler. Puis Fin mai, la consigne a été donnée aux chefs d’établissement de convoquer des CA extraordinaires pour accepter le principe de la contractualisation, et valider les projets. Les élu·es des CA (et les syndicats) étaient placé·es dans l’alternative : s’opposer au principe et donc anéantir les projets des collègues, ou accepter en bloc la logique des CLA. Tout a évidemment été validé.
Et aujourd’hui, où en est-on ?
15 LP ont signé des CLA (alors qu’il y en avait 19 labellisés EP). Le comité technique Académique d’Aix-Marseille du 9 novembre a permis d’obtenir des informations instructives sur la répartition des moyens : IMP, HSE « devoirs faits », Crédits pédagogiques, Fonds sociaux. On constate (voir ci-contre) une immense disparité et une totale incohérence des situations d’un LP à l’autre. Ainsi, concernant les IMP, certains LP n’en ont obtenu aucune, d’autres jusqu’à 9. Concernant les HSE, on passe de 20 à 283 heures. Les crédits pédagogiques varient de 762 € à 5 300 €, quant aux fonds sociaux, si la plupart des LP n’en ont pas obtenus, certains ont eu jusqu’à 8 500 €.
Les réponses du rectorat lors du comité technique académique (CTA) du 9 novembre sont restées très floues. Selon nous, les disparités de cette ventilation des moyens résultent directement de la façon dont la procédure a été engagée dès le début. Après l’injonction par Mme Elimas de mettre en œuvre les CLA, on a découvert « au fil de l’eau » jusqu’en juin 2021 les dispositions que les chefs d’établissement et les équipes ont interprétées comme ils ont pu. En l’absence de cadrage, ces CLA se sont transformés en véritable « course à l’échalote » ! Il y a quelques jours, dans un LP des Bouches du Rhône, un proviseur s’est exclamé devant un élu au CA qui lui montrait le document du CTA : « On a été trop raisonnable ! Les autres ont été plus malins ! ».
Quels enseignements tires-tu de cette expérimentation ?
Pour établir un bilan objectif, on verra à la fin de l’année scolaire, car pour le moment, les actions pédagogiques sont loin d’être véritablement mises en place dans tous les LP. Mais les collègues qui ont choisi de s’engager dans les CLA sont tous de bons profs, préoccupés par l’épanouissement de leurs élèves : ils sauront sans doute faire de belles choses.
Cependant, il faudra voir établissement par établissement comment les moyens ont été réellement mobilisés, comment les actions d’accompagnement auront trouvé leur place dans l’organisation des services (ce sont des IMP et des HSE), quel impact pédagogique cela aura eu sur la scolarité et la réussite de nos élèves.
Et puis sur le fond, il ne faut pas être dupe : avec ces CLA, on change en profondeur le paradigme de la mission de la fonction publique d’éducation ! On assiste aux dernières funérailles d’une politique d’éducation prioritaire engagée dans les années 1980. C’est la fin d’une politique nationale et pérenne, déterminée par l’identification des besoins particuliers de certains territoires socialement déclassés, et déclenchant systématiquement des moyens spécifiques pour corriger les inégalités, dans le but de permettre à ces territoires d’atteindre les objectifs généraux.
Les CLA marquent l’avènement d’une autre conception de l’Éducation nationale : une collection de politiques éducatives locales et conditionnées, dont le contenu sera chaque année contractualisé entre des établissements autonomes (et dirigés par de bons managers) et les rectorats, dans le cadre d’une mise en concurrence généralisée des établissements.
Nul doute que le gouvernement – s’il traverse avec succès les élections du printemps – cherchera à généraliser l’expérimentation au niveau national… Nous voilà prévenus !