Sur France Info : une émission de vulgarisation pour les jeunes citoyens qui pose beaucoup de questions

Mardi 26 avril, la rubrique « Franceinfo Junior » de la radio nationale d’information continue invitait Jean-Jérôme Bertolus, chef du service politique de France Info, pour répondre aux questions d’enfants sur le rôle du Président de la République. En bon prof de français, d’histoire-géo et surtout d’éducation morale civique en lycée pro, j’ai tendu l’oreille, en me disant que je pourrais sans doute utiliser cette émission dans ma classe, pour éclairer mes jeunes en CAP qui se posent beaucoup de questions sur le fonctionnement des institutions de leur pays.
Hélas ! Si les explications « pédagogiques » offertes sur le service public d’information méritaient en effet d’être écoutées attentivement, elles l’étaient plutôt pour préparer une leçon sur la propagande d’Etat ! Jugez-en vous-même…
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A la première question de la petite Anna, qui demande comment travaille un président, Jean-Jérôme Bertolus répond que « la qualité essentielle d’un président, c’est son énergie, et c’est souvent une énergie exceptionnelle, qu’on n’a pas forcément toi et moi » en invitant les enfants à s’émerveiller de la capacité surhumaine d’Emmanuel Macron qui a réussi à gérer successivement la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, la campagne présidentielle, puis la préparation de son prochain gouvernement. Entraîné par son enthousiasme pour l’énergie surnaturelle du président sortant, le journaliste croit pertinent de rassurer Fatou, qui s’inquiète de la vie familiale du président, en expliquant que « l’avantage, c’est que sa femme, elle est à l’Elysée […] c’est une tradition, en général les présidents sont à l’Elysée avec leur famille« . Bon… pourquoi pas. Décrire aux enfants la charge de travail liée à une fonction élective, c’est civique ! Évoquer quelques usages « républicains » de la vie des grands hommes, c’est instructif, y compris pour en souligner le caractère un peu désuet… et sexiste (ce que n’a pas fait le journaliste, ou alors – peut-être – avec une ironie très subtile lorsqu’il évoque les habitudes d’Edouard Balladur).  Pourquoi pas, donc.
Mais la leçon d’instruction civique commence à franchement poser problème lorsque la petite Mya veut savoir comment sont nommés le premier ministre et le gouvernement : le journaliste répond avec aplomb que le Président « peut pratiquement tout faire, et il peut garder [un premier ministre ] autant de temps qu’il le veut« , ajoutant qu’il peut certes être « viré par les députés« , mais précisant immédiatement que « ça, c’est en théorie, c’est ce qui est écrit, mais en général, un premier ministre s’entend bien avec le Président« . Étrange interprétation – très très présidentielle – de la Constitution… et réécriture très surprenante de l’histoire des trois cohabitations Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin (qui n’ont d’ailleurs pas été évoquées).
Enfin, c’est à partir de 6mn30 que le discours dérape complètement, lorsque Jean-Jérôme Bertolus s’égare dans une analogie entre le Président de la République et un directeur d’école. Selon le journaliste, le directeur « décide ce qu’on va faire pendant l’année, fixe les horaires, la gym d’un côté, la classe… puis regarde avec les profs un petit peu les programmes. Ça, c’est le Président, qui définit les grandes lignes de la politique mais ne rentre pas dans les détails« . Puis, il résume la fonction du premier ministre, en affirmant que « c’est de mettre en musique ce qui a été décidé par le Président, de faire tourner la machine, par exemple si le directeur de l’école a dit que la gym ça sera à tel moment, et puis la première langue ça sera à tel horaire, eh bien le premier ministre il doit vérifier que le gymnase est bien libre à cette horaire… si le Président a décidé qu’il doit y avoir plus d’écologie, il doit vérifier qu’il y aura bien plus d’écologie dans les lois, plus d’écologie à la cantine parce qu’on doit manger bio… c’est ça le boulot du premier ministre« .
Du grand n’importe quoi ! Non seulement Jean-Jérôme Bertolus semble ignorer totalement le rôle d’un directeur d’école (à moins qu’il anticipe ce que veut en faire le président Macron avec son « expérimentation » dans les écoles marseillaises !), mais surtout il contredit avec une totale désinvolture le sens de l’article 20 de la Constitution selon lequel « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » en réduisant au passage le pouvoir législatif à un rôle de simple régisseur des visions présidentielles.
Cette émission de radio pourrait nous amuser… mais en réalité, elle est grave car elle révèle une sorte de « sur-moi » tout macronien qui semble désormais habiter la conscience d’une partie de plus en plus importante des journalistes, semblant renoncer à leur éthique professionnelle au profit d’une mission d’éducation des masses au consentement. On a certes pris l’habitude d’entendre cette complaisance avec la conception hyper-présidentialiste dans la bouche de la plupart des éditorialistes de Radio France… mais c’est le rôle des éditorialistes de dire leur avis à l’antenne (le vrai problème étant la garantie du pluralisme des éditorialistes). En revanche, qu’un chef du service politique de la rédaction inflige cette idéologie comme une évidence, c’est inacceptable, singulièrement à l’attention des enfants que l’émission prétend instruire.
Ne peut-on pas voir dans cet exemple une des causes de cette  « fatigue démocratique » que les salles de presse ont pourtant largement commentée depuis le 2e tour ? A force d’expliquer que les élections législatives qui viennent ne servent à rien, sinon à offrir une assemblée nationale inutile et un gouvernement soumis au président de la République, ne peut-on craindre de voir les urnes désertées et la crise institutionnelle et démocratique encore aggravée ?
Pour celles et ceux qui partageraient cette inquiétude et voudraient signaler le problème à la rédaction de France Info : https://www.francetvinfo.fr/nous-contacter/
Nicolas Voisin – Secrétaire Académique SNUEP-FSU Aix Marseille